Lady Mounass : la pop star sénégalaise qui a osé chanter sur le viol

“Il est très difficile pour moi de chanter cette chanson sans accompagnement parce que les mots sont une description de ce qui m’est réellement arrivé”, dit-elle. “Je pleure fréquemment jusqu’à ce que je m’endorme. Chaque jour, je vis avec la honte qui y est attachée”.

Lady Mounass dit qu’elle s’est rendue à la police et que l’un de ses agresseurs a été arrêté, mais qu’il a ensuite été relâché sans charge. Sa famille voulait qu’elle garde le silence sur son expérience, mais lors d’une interview à la télévision sénégalaise l’année dernière, elle a révélé la vérité par inadvertance.

“Le présentateur n’arrêtait pas de me demander : “vous semblez avoir un intérêt particulier pour cette question, vous semblez être particulièrement sensible à ce sujet. Et alors les larmes ont commencé à couler et je n’ai tout simplement pas pu les contenir”.

Cette révélation a provoqué une onde de choc dans sa vie. Certains critiques ont suggéré que son style “provocateur” avait donné aux hommes la “mauvaise impression”, tandis que d’autres ont affirmé qu’elle avait tout inventé pour se faire de la publicité. “Certains ont essayé de dire que je ne faisais cela que pour attirer l’attention – et cela m’a vraiment blessée”, déclare Lady Mounass. Ma propre famille m’a dit : “c’est exactement pour cela que nous t’avons dit de ne pas en parler publiquement”.

Lady Mounass à la maison, avec sa guitare

La chanson de Lady Mounass a été utilisée pour sensibiliser le public aux violences sexuelles

Dans les semaines qui ont suivi, de nombreuses personnes ont contacté Lady Mounass pour parler de leurs propres expériences d’agression sexuelle. Les récits sont poignants : une femme lui raconte qu’elle a été violée par son grand-père, une autre par son père, et que sa mère a refusé de la croire.

Au fil des récits, Lady Mounass a fini par devenir une porte-parole contre la violence sexuelle. Elle s’est jointe à une campagne gouvernementale, parcourant le pays pour sensibiliser les gens à la violence sexuelle et à l’aide juridique disponible pour les femmes. Sa chanson est devenue la bande-son de cette campagne.

Au Sénégal, les femmes ont traditionnellement été fortement stigmatisées et réticentes à parler du viol, et encore moins assez courageuses pour sortir une chanson à ce sujet. Lady Mounass a décidé que ce n’était pas à elle de porter la honte.

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Mais pour certaines femmes, être victime de violences sexuelles signifie être rejetée par sa famille et sa communauté. C’est ce qui est arrivé à deux jeunes femmes que j’ai rencontrées dans le premier refuge géré par le Sénégal pour les victimes de violences domestiques et sexuelles.

Nous avons changé leurs noms.

Situé dans une banlieue tranquille de Dakar, le refuge est dirigé par Yacine Diouf, la fille d’un ancien président. Nous entrons par une lourde porte en bois, “pour empêcher les maris et les familles en colère d’entrer”, explique Mme Diouf.

Le refuge peut accueillir 25 à 30 femmes à la fois, ainsi que leurs enfants. Elles se verront offrir une formation et des compétences pour les aider à vivre de manière indépendante après leur départ.

Le fondateur du Refuge, Yacine Diouf, veut offrir aux victimes de violences domestiques et sexuelles un endroit sûr où se réfugier

Deena a 19 ans, mais semble beaucoup plus jeune. Vêtue d’un T-shirt blanc et d’un jean, elle fait défiler sans fin son téléphone. Deena a été violée quand elle avait 15 ans. Le viol a entraîné une grossesse et aujourd’hui, elle est la mère d’un enfant de trois ans.

“L’homme qui m’a attaquée a été placé en détention par la police”, dit-elle. “Il a fait un faux témoignage. Ils l’ont laissé partir au bout d’un mois. Malgré cela, il a reconnu l’enfant et accepté la paternité. Je m’en suis servi pour porter plainte, mais il s’est enfui en Guinée.”

Deena se bat pour s’en sortir avec 2 dollars (1 219 FCFA) par jour. “La vie est dure. J’étais à l’école mais j’ai dû abandonner. Je n’ai pas le choix, je dois subvenir aux besoins de mon enfant. C’est une situation difficile, mes parents ont divorcé après ce qui s’est passé.”

Sarah, 19 ans elle aussi, est assise à côté de Deena. L’année dernière, Sarah a été violée et maintenant elle est enceinte. Elle n’est pas allée à la police et n’a parlé à personne de ce qui s’est passé. Le viol n’a été découvert que lorsque sa grossesse a commencé à se manifester – puis sa famille l’a mise à la porte. Elle a été amenée au refuge lorsque le personnel l’a trouvée en train de dormir dans la rue.

“Dans sa culture, il y a beaucoup de honte à être violé, donc sa famille maternelle et paternelle l’a rejetée”, explique un employé du refuge qui s’occupe de Sarah.

Les femmes algériennes protestent contre le viol et le meurtre d’une adolescente
Au Sénégal, le concept de “sutura” – discrétion – peut pousser les victimes de violences sexuelles à garder le silence, explique Fatou Warkha, qui dirige une chaîne YouTube de promotion des droits des femmes. “La sutura signifie que les femmes ont le sentiment qu’elles doivent cacher ces choses, ce qui a constitué un véritable obstacle à l’évolution de la manière dont les femmes soulèvent la question du viol lorsqu’il se produit”, explique-t-elle.

Warkha fait partie d’un groupe de féministes qui a créé le collectif Dafadoy, qui signifie “assez, c’est assez”. En 2019, les militantes ont commencé à utiliser le hashtag #Dafadoy, un peu comme le mouvement #metoo, et ont organisé des sit-in pour protester contre les violences sexuelles.

Cette année-là, une série d’agressions sexuelles contre des femmes a entraîné des protestations généralisées. Le cas le plus marquant a été celui de Bineta Camara, 23 ans, qui a été étranglée après que son meurtrier a tenté de la violer. Son cas a suscité la colère, non seulement des féministes, mais aussi d’une grande partie de la société.

El Hadji Elias Ndoye, un jeune diplômé, faisait partie des 3 000 personnes qui ont rejoint les manifestations sur la Place de la Nation à Dakar. “En raison de la nature patriarcale de la société ici, la présence des hommes dans ces manifestations est essentielle”, explique Ndoye.

“Certaines personnes m’accusent d’être sous la coupe d’une femme, mais en vérité, il est temps que les voix des femmes soient entendues. La majorité silencieuse des hommes est avec nous parce que ce sont leurs filles, leurs sœurs, les membres de leur famille qui sont vulnérables.”

Hadji Ndoye a protesté en 2019 et a mené une campagne intitulée “He for She” (Lui pour elle)

Mame Mactar Guèye, le président de Jamra, l’une des organisations islamiques les plus influentes du pays, a également manifesté. Lui et Jamra étaient aux côtés de leurs “sœurs” pour s’opposer à ce que Gaye appelle “le fléau du viol”.

“Il s’agit de faire en sorte que les hommes changent de comportement”, dit-il.

Les manifestations ont imposé une modification de la loi pour laquelle des militants comme Warkha faisaient campagne depuis longtemps.

Après un vote unanime du parlement, le président Macky Sall a officiellement fait du viol un crime le 10 janvier 2020. Les affaires de viol sont désormais jugées par une cour criminelle, avec une peine de 10 ans à perpétuité, alors qu’auparavant elles auraient été jugées par un tribunal d’instance avec une peine maximale de 10 ans.

”J’ai compris ce que c’est d’être victime de viol”
Le viol est devenu pour la première fois punissable par la loi au Sénégal en 1999, lorsqu’il a été classé comme un délit. Deux décennies plus tard, en 2019, 1 026 rapports officiels de violences sexuelles ont été recensés, dont la moitié concernerait des viols. Mais il est difficile d’obtenir des chiffres précis.

Un représentant du ministère des Femmes, de la Famille et des Personnes vulnérables a confié à la BBC qu’il ne disposait pas de chiffres relatifs au nombre de femmes réellement concernées – et que, de toute façon, les statistiques rapportées sur les viols sous-estiment notoirement l’ampleur du problème.

Des mesures sont actuellement prises pour que les femmes se sentent plus à l’aise lorsqu’elles signalent une agression sexuelle à la police. Les postes de police sont en train d’être réaménagés de manière à ce que les femmes soient accueillies à la réception et conduites dans une pièce séparée, où elles peuvent parler à une femme.

Ces changements s’inscrivent dans le cadre d’un projet financé par l’UE et dirigé par un officier de police de haut rang, le commissaire Binetou Guissé, dont la mission est de surveiller les violences liées au genre dans tout le pays.

Commissaire Guissé

Le commissaire Guissé est le “point focal genre” de la police nationale

La police travaille également en étroite collaboration avec des femmes de la communauté locale qui jouent un rôle important d’intermédiaires. Elles sont connues sous le nom de “badiénou gokh” – un terme qui signifie tante paternelle locale, une figure importante dans les familles sénégalaises. Le gouvernement forme désormais les badiénou gokh à la protection des femmes et des enfants vulnérables.

“Ces femmes sont celles qui ont tendance à savoir ce qui se passe et elles portent le problème à l’attention de la police”, explique Mme Guissé.

Selon elle, les changements semblent avoir un effet positif, puisque davantage de personnes se manifestent pour dénoncer les violences domestiques et sexuelles.

Des conseils juridiques gratuits sont également dispensés dans des cliniques du pays par l’Association des juristes sénégalais (AJS), qui est en première ligne de la défense des droits des femmes au Sénégal depuis des décennies. L’association dit avoir enregistré plus de 3 000 cas de violence sexuelle au cours de la seule année 2021, mais souligne qu’elle ne dispose pas de cliniques dans la majorité des 42 départements du pays.

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Et le personnel d’un bureau de l’AJS nous a dit que la nouvelle loi étant plus complexe, elle entraîne un processus juridique plus long.

“De nombreux hommes sont actuellement poursuivis, mais jusqu’à présent, aucun d’entre eux n’a été condamné – en partie parce que la nouvelle procédure est longue et nécessite une enquête approfondie”, explique Aby Diallo, présidente de l’AJS et ancien officier de police.

Cette procédure juridique plus longue pourrait-elle donc être contre-productive ?

Diallo ne le pense pas. “C’est une bonne loi, mais il faut qu’elle soit mieux appliquée, qu’il y ait plus de magistrats et que la communauté locale soit mieux sensibilisée au fonctionnement de la nouvelle loi.”

Elle explique que sous l’ancienne loi, de nombreux violeurs sortaient de prison après seulement quelques mois, ce qui avait un impact extrêmement préjudiciable sur les victimes. “En fin de compte, ce sont les peines sévères qui sont susceptibles de faire comprendre la gravité de ces actes”, déclare Mme Diallo.

Des femmes brandissent une banderole avec une photo de Bineta Camara et le slogan “Plus jamais ça” à Dakar en mai 2019
CRÉDIT PHOTO,GETTY IMAGES
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Des femmes brandissent une banderole avec une photo de Bineta Camara et le slogan “Plus jamais ça” à Dakar en mai 2019

Mais comme aucune condamnation n’a encore été prononcée, il est clair que de nombreuses victimes de violences sexuelles attendent toujours que justice soit faite.

Lady Mounass espère que la chanson qu’elle a écrite sur son calvaire aidera d’autres femmes à s’exprimer. “J’ai une plateforme en tant que chanteuse et je ressens un sentiment de responsabilité. J’ai senti que je devais dire quelque chose à ce sujet”, dit-elle.

“J’appelle les hommes en particulier à mettre fin à la culture autour du viol et à cesser d’en faire quelque chose que les femmes se sentent obligées de taire.”

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