Les femmes sont-elles l’avenir de l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle est en passe de révolutionner le monde du travail. Mais pour s’améliorer, ce secteur très masculin doit s’ouvrir aux femmes. C’est en tout cas le pari de plusieurs collectifs de femmes –et d’hommes- dans l’industrie.

“Nous avons découvert que seulement 22 % des professionnels de l’intelligence artificielle (IA) sont des femmes”, énonce le rapport 2018 sur l’égalité hommes-femmes du Forum Economique Mondial. “Une disparité de genres qui ne semble pas s’améliorer dans les tendances futures”. Pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que l’avenir des technologies qui vont remodeler le monde du travail doit être davantage confié aux femmes.

À l’heure actuelle, la technologie est un secteur dominé par les hommes, qui sont à la fois plus nombreux et ocupent des postes plus élevés.En Europe, alors que les femmes sont globalement plus éduquées que les hommes -44 % des femmes ont un diplôme universitaire, un pourcentage qui passe à 34 % pour les hommes-, elles ne représentent que 24 % des diplômés en sciences de l’information, selon le rapport “Femmes à l’ère numérique” 2018 de la Commission européenne.

Elles sont de surcroît discriminées dans ce domaine. En octobre 2018, les analystes d’Amazon se sont rendus compte que leur programme de recrutement, basé sur un système de notation automatisé, pénalisait les CV contenant le mot “féminin”.

Dernièrement, la faible proportion des femmes parmi les spécialistes de l’intelligence artificielle s’est faite ressentir avec certaines dérives sociales et sexistes de technologies en lien avec l’IA : des prédictions du moteur de recherche Google frôlant la misogynie, une nette préférence pour des voix féminines pour les assistants virtuels comme Siri ou Alexa, une surexposition de la nudité féminine en ligne.

Des initiatives pour changer la donne

“Les IA sont en train de changer radicalement tous les domaines du quotidien”, rappelle Joanna Kirk, co-directrice de StartHer, une organisation qui vise à promouvoir la place des femmes dans la Tech, interrogée par France 24. “Si les femmes ne participent pas à une réflexion en amont, la technologie ne sera tout simplement pas représentative de nos sociétés.”

À l’heure où les algorithmes et la robotique se penchent sur le secteur de la santé, cela pourrait transformer dans le mauvais sens des corps de métiers très féminins. C’est le cas pour l’aide à la personne, où 90 % des travailleurs sont des femmes, selon l’OCDE.

Fondée en 2010 en France, l’association StartHer soutient des mouvements de femmes et d’hommes en faveur de la diversité dans les technologies de l’information. L’organisation travaille notamment avec le collectif Women in AI (“Femmes dans l’intelligence artificielle”), qui regroupe des expertes de plusieurs pays. “La première étape consiste à parler de la place des femmes dans la Tech”, explique Joanna Kirk. “Ensuite, il y a un travail ciblé : on intervient dans les écoles et les collèges, et on fait des séances d’initiation au code.”

Aux États-Unis et au Canada, l’association AI 4 All travaille avec plusieurs universités pour proposer des programmes d’été autour de l’IA, à destination des lycéennes. “Dans mon école, les filles n’ont pas l’occasion d’étudier l’informatique. Après avoir suivi le programme d’été, j’ai lancé un club pour qu’on développe des applications et qu’on participe à des compétitions”, raconte l’une d’entre elles sur le blog de l’ONG.

En mars 2018, la commissaire européenne à l’économie numérique Mariya Gabriel soulevait que l’augmentation du nombre de femmes travaillant dans les métiers technologiques pourrait générer jusqu’à 16 milliards d’euros de croissance du PIB de l’Europe, à condition de mettre en place des politiques de diversité dans le secteur des STIM (des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques).

“On voit, dans le monde du travail, se multiplier les guides de la diversité à l’intention des équipes RH, pour réadapter la culture d’entreprise et comprendre la réelle valeur d’une équipe diverse dans le business de la Tech”, souligne Joanna Kirk. Parmi les dernières chartes en date : celle du fond d’investissement britannique Atomico, dont le PDG est le fondateur de Skype, Niklas Zennström. “Ce genre de réflexions n’existaient pas il y a un ou deux ans”, rappelle la codirectrice de StartHer.

Au revoir l’”IQ”, bonjour l’”EQ”

Les expertes et experts des IA se sont focalisés sur la promotion des compétences féminines dans le développement des machines pensantes du futur. Les “soft skills” -en anglais, les compétences humaines, par opposition aux “hard skills”, les compétences techniques- seront à leurs yeux plus utiles à l’avenir, au moment de perfectionner la technologie.

Selon l’institut de recherche américain Gartner Inc., en 2020 l’intelligence artificielle aura créé plus d’emploi -2,3 millions- qu’elle n’en aura détruit –1,8 millions. Les emplois détruits seront surtout liés aux compétences humaines que remplacera le “machine learning”, l’apprentissage automatique des machines. Par exemple : la capacité d’un avocat à retenir des milliers de textes de loi et de jurisprudence. Mais reproduire numériquement un cerveau humain est impossible et de nouveaux emplois naîtront des limites de l’IA.

En somme, leshommessont actuellement majoritaires dans la phase de création et de conception des intelligences artificielles, mais les femmes seront bien plus valorisées lors de l’étape suivante, lorsque qu’il faudra comblerleur déficience émotionnelle.

Andrew Haldane, chef économiste de la Bank of England, souligne que le marché du travail de demain sera marqué par le “fort potentiel” des profils “EQ” – liés aux qualités émotionnelles et relationnelles- au détriment de l’”IQ”, les qualités liées au raisonnement. “Le médecin du futur sera moins valorisé par ses compétences cliniques, par son efficacité à diagnostiquer une maladie, que par son humanité et ses interactions sociales, explique l’économiste, car, dans un monde d’algorithmes et de données médicales, le diagnostic sera fait par une machine.”

De son côté, Sarah O’Connor, journaliste économique au Financial Times, fait une autre proposition : “Si l’on dit aux filles que coder n’est pas uniquement une affaire de garçons, alors pourquoi ne pouvons-nous pas dire la même chose aux garçons au sujet de l’empathie ?”

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