Sénégal : C’est la fête sans compter (Par Hamidou Hann)

Cette chronique dépeint la société sénégalaise au travers des comportements sociaux qui interrogent sur notre rapport aux dons et contre-dons. Quelle est la place de la rivalité ? Elle résume un constat et parfois une inquiétude sur la sincérité de nos relations. J’ai voulu tirer un peu les traits, mais la réalité n’est toujours pas loin.

Au pays de la « Téranga », tous les jours de la semaine, c’est la Bamboula en permanence. Nous débutons le vendredi soir jusqu’à dimanche soir. Je suis un homme, une femme, un jeune, un vieux. Je suis riche, pauvre, la fête me ressource. A l’approche de la Tabaski, je dois acheter un gros mouton très cher pour épater la galerie. Je sais que la religion ne m’y oblige pas, mais je risque d’être ridicule aux yeux de ma femme. J’ai entendu dire qu’un artiste a acheté un mouton à 10 000 000F CFA (15 000€) et actuellement c’est le débat à notre « grand’ place ».

Le mouton est présenté à la télévision et cela ne choque personne ; il faut flamber, c’est notre coutume. Moi, je peux lui dire qu’au baptême de ma fille, j’ai barré la rue de mon quartier, sans autorisation bien sûr, j’ai invité tout le monde et j’ai tué 2 moutons. J’ai fait mieux que mon voisin. Je ne vais pas quand même faire comme mon père.

Le vieux, très pieux, à ma naissance, a demandé à ma mère de faire du « Lakh » (bouillie au lait), des beignets pour offrir aux nécessiteux et distribuer aux voisins. Ce temps est révolu, je dois montrer que je suis quelqu’un. J’ai un souci, je voulais que mon fils porte le nom d’un copain mais il n’a pas l’air de le vouloir ; il me dit pourquoi pas le nom de ton père. Je sais pourquoi il ne veut pas car actuellement les Tourandou (parrain et homonyme) sont utilisés pour bénéficier de leur richesse et de leur générosité. Un copain blagueur disait « on donne rarement maintenant le prénom des enfants à un ami, copain, parent pauvre. » il insiste pour qu’on respecte la tradition : « il faut que vos enfants portent les noms de vos propres parents »

Je suis une femme qui adore le luxe ; j’aime dépenser et toujours en rivalité avec mes amis, excusez- moi, mes rivales. Je connais toutes les catégories de mèches et de crème. Je suis à la mode : j’ai 30 boubous, 20 paires de chaussures et je ris tout le temps car je suis une femme heureuse et je ne paie aucune charge familiale ; c’est mon mari, chef de famille qui s’en occupe. Vous ne voudrez quand même pas que je me retrouve sans le sou, s’il décide de prendre une « Gnarel », (deuxième femme). Vous ne connaissez pas assez les hommes sénégalais. Tous mes week-ends sont occupés par des cérémonies et cela me coute très cher, c’est normal, mais j’avoue que je râle parfois. « Je vais vous dire que je rame très dure. Je travaille mais je n’arrive pas à joindre les deux bouts.

Il est vrai que j’ai acheté une voiture à crédit, j’ai bien meublé ma maison et j’adore manger de bonnes choses. Je suis endetté, CHUT ! Je fais semblant et ma femme n’est pas au courant. Je suis obligé de faire un détour pour ne pas passer devant la boutique non loin de chez moi, car je dois beaucoup d’argent au commerçant. J’ai bien flambé au mariage de mon neveu : Je me suis mis en transe dès l’arrivée du graisseux griot de ma famille.

Le veinard, vêtu d’un beau boubou que mon frère lui a payé, a commencé a chanté très fort pour alimenter mon égo. C’est parti, les dons de rivalité démarrent et j’ai craqué encore pour montrer que je suis imbattable. Ma femme était fière de moi, mais elle ne savait pas que la fin du mois sera plus que difficile. Je ne comprends pas comment on peut s’en sortir au Sénégal car la vie est très chère. J’ai perdu mon père, je suis très affecté et je souffre terriblement.

En tant que bon musulman, je dois demander à l’imam ou au marabout du coin de me le bénir et faire lire le coran aux talibés (élèves à l’école coranique). C’est 50 000F CFA, à prendre ou à laisser, c’est comme au marché. Tu n’avais qu’à demeurer au Point e, Fann résidence, Almadies, etc. Celui qui est pauvre ne pourra pas bénéficier de ce temps fort que toutes familles musulmanes souhaitent faire, pour accompagner leurs morts. oui, certains voudraient que la mort soit une fête. Elle commence à coûter cher aux vivants. La situation aura du mal à évoluer car nos dirigeants politiques ne montrent pas le bon exemple. ils dépensent sans compter, avec une différente majeure, c’est l’argent des contribuables.

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