Sénégalais vivant au Gabon : Les galères quotidiennes de 30 000 compatriotes

Les Sénégalais vivant au Gabon sont estimés dans l’ordre de 30 000 âmes, selon le rapport de “La revue européenne des migrations internationales, 2020’’. Au pays des Bongo, nos compatriotes y vivent dans des conditions difficiles, dans un aura d’insécurité, de tracasseries de la part des autorités municipales, sans oublier les péripéties liées à la retraite. Mais, n’empêche, ils se battent pour tirer leur épingle du jeu. Journal EnQuête

Les mouvements des Sénégalais vers le Gabon s’inscrivent dans une longue histoire, amorcée lors des incursions musulmanes en Afrique centrale (Iyanga, 2003) et signalées bien avant sa colonisation par les Européens. À la fin du XIXe siècle, quelques marchands musulmans gagnent, de leur propre initiative, les bords de l’Ogooué, à la recherche de nouveaux débouchés commerciaux. Mais la présence sénégalaise y est rendue plus visible, après l’établissement des Français au Gabon et la prise de possession du comptoir en 1843 par le commandant Bouët (M’Bokolo, 1981).

À la suite des incitations directes de l’État gabonais, du processus que Chouala a rebaptisé l’’’exhortation migratoire’’ des réseaux tant corporatistes que familiaux ou villageois prospères, contribuant à l’essor des migrations sénégalaises vers le Gabon. C’est ainsi que des réseaux de bijoutiers se structurent selon une logique, pour partie comparable à celle mise en place par des entreprises de construction gabonaises : recrutement à partir du Sénégal, prise en charge financière du billet d’avion aller et des pièces administratives.

Selon un rapport de ‘’La revue européenne des migrations internationales, 2020’’ consulté par ‘’EnQuête’’, quelques bijoutiers se sont ainsi enrichis rapidement au Gabon, diffusant la technique du filigrane et, en véritables têtes de pont de cette migration, ils ont permis à des générations de Sénégalais d’amorcer ou d’asseoir leur carrière. Mais, au fil des années, les villages de Kanel, Aoré, Oréfondé, Guidilogne et les Agnam, dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, deviennent les plus gros pourvoyeurs de migrants pour le Gabon, grâce à l’installation initiale de quelques pionniers.
Des générations de commerçants peuvent ainsi trouver place dans les circuits marchands au Gabon et la conserver, en dépit des tracasseries administratives répétées, engagées à l’encontre des commerçants étrangers africains.

Une forte présence de commerçants ressortissants des départements de Matam et de Podor

Dorénavant, poursuit le document, la majorité des Sénégalais au Gabon travaillent dans le secteur indépendant pour une minorité, encore recrutée au titre de la coopération inter-États ou par des entrepreneurs publics (éducation, santé) ou privés (banques, exploitation forestière, minière, pêcheries). D’après une enquête réalisée à la fin des années 1980, 46 % des entreprises privées (4 950) appartenaient à des ressortissants ouest-africains, 14 % à des immigrés d’Afrique centrale, alors que 31 % étaient détenues par des Gabonais (Chouala, 2004).

Selon toujours la revue, évaluée à 15 000 personnes en 1995 avant les grandes expulsions et aujourd’hui à plus de 30 000 personnes, la communauté sénégalaise au Gabon regroupe une majorité de commerçants ressortissants des départements de Matam et de Podor et de s3xe masculin aux trajectoires hétérogènes et à la fortune très variable. Refoulés de Libye, de Guinée équatoriale ou encore cireurs de chaussures à Abidjan où à Pointe-Noire, les derniers arrivés expérimentent au quotidien la précarité, devant faire face à l’augmentation des contrôles d’identité dans l’espace public.

‘’Ces jeunes hommes, au niveau d’études et à l’expérience professionnelle limités, sont colporteurs principalement dans les rues ou marchés de la capitale gabonaise. D’autres, aux compétences plus larges et venus s’installer à Libreville dans les années fastes, ont pu prospérer, exerçant dans la restauration, le transport de voyageurs ou l’import-export. Ils ont su nouer des liens solides avec la société locale, s’associer avec des hommes d’affaires gabonais pour obtenir des agréments et autorisations d’importation. Les uns ont passé quelques années seulement au Gabon, regagnant rapidement le Sénégal ou poursuivant leur route en Afrique, en Europe ou en Amérique. D’autres, en revanche, y ont vécu quasiment la totalité de leur vie migratoire, faisant venir leurs femmes et agrandissant sur place leur famille. Rares sont ceux qui ont épousé une Gabonaise’’.

Selon toujours le rapport, les migrants internationaux les mieux établis deviennent, de surcroît, des entrepreneurs transnationaux, n’hésitant pas à parcourir la planète pour approvisionner les consommateurs gabonais en produits alimentaires ou textiles.

Refus de prendre la nationalité gabonaise, tracasseries et retraite

À l’instar de tous les commerçants de Libreville, les Sénégalais sont aussi fréquemment confrontés à des tracasseries de la part des autorités municipales qui entendent recouvrer de nouvelles taxes pour mieux affronter la récession économique. En octobre 2019, renseigne le document, des commerçants ouest-africains exerçant sur les marchés de Libreville qui, par le passé, faisaient le dos rond, ferment boutique pendant trois jours, en même temps que les commerçants nationaux, pour dénoncer l’extorsion de fonds et la répression policière dont ils sont aussi les victimes.

N’obtenant pas gain de cause auprès des autorités gabonaises, ils organisent des rassemblements devant leur représentation diplomatique. Là encore, les associations qui encadrent les migrants sénégalais ne parviennent pas à faire pression sur le gouvernement sénégalais. Compte tenu de la dégradation de la situation économique au Gabon et de la connaissance partagée des retombées de la crise ivoirienne sur la condition de migrants, les ressortissants sénégalais reconsidèrent leur avenir.

Si les mieux ancrés dans la société gabonaise sont bien décidés à ‘’flamber moins et investir utile’’ au Sénégal, les plus fragiles doivent trouver d’autres portes de sortie, ne pouvant non plus tabler sur une pension de retraite. ‘’Pour ceux qui ont été salariés un temps au Gabon sans pour autant bénéficier de contrats d’expatriation en bonne et due forme, la situation reste plus problématique. Même pour ceux qui ont pu cotiser à la sécurité sociale gabonaise pendant vingt ans, les obstacles sont nombreux avant qu’ils ne puissent bénéficier d’une pension de retraite. Non seulement, ils se retrouvent dans l’obligation annuelle de justifier physiquement de leur existence auprès des autorités gabonaises, mais ils doivent également ouvrir un compte bancaire au Gabon pour être autorisés à percevoir leur pension au Sénégal’’.

Selon le rapport, ceux qui ont travaillé au Gabon moins de quinze ans, en tant que salariés des secteurs public ou privé, ont théoriquement la possibilité de se faire rembourser leurs cotisations annuelles en un versement unique. ‘’Mais la majorité des personnes rencontrées, qu’il s’agisse d’employés de banque, de cuisiniers dans des entreprises de navigation, d’un électricien ayant travaillé à la Caisse gabonaise de sécurité sociale ou de professeurs ayant rejoint l’enseignement privé après que leur poste dans le public a été ‘gabonisé’, ne l’ont pas encore été jusqu’à présent’’, informe le rapport.

On apprend que les Sénégalais restent des étrangers au Gabon ; la majorité d’entre eux a refusé de prendre la nationalité gabonaise et met tout en œuvre pour que ses enfants repartent vivre au Sénégal, échappant ainsi au mode de vie gabonais qu’ils jugent trop permissif.

Rapatriement de l’épargne

Les migrants sénégalais, renseigne le rapport, s’évertuent à rapatrier leur épargne. Ils ont, dans l’optique première de faire construire au pays la maison familiale, la pierre devenant la meilleure assurance pour l’avenir, la meilleure retraite. ‘’Des structures mises en place par l’État sénégalais (Banque de l’habitat du Sénégal) appuyées localement par des associations de migrants sénégalais se portant garantes (l’Entraide des Sénégalais au Gabon, Fedde Fuuta) ou des sociétés de microfinance les ont également encouragés dans leur entreprise. Des actions collectives ont été également menées et plusieurs centaines de parcelles ont été attribuées à des Sénégalais du Gabon, après avoir été viabilisées et construites, d’abord du côté de Mbao (banlieue de Dakar) et de Rufisque, et plus récemment à proximité de la ville nouvelle de Diamniadio, ouvrant de nouvelles perspectives spéculatives’’, poursuit le document.

Si les profils migratoires ont notablement changé, au fil des siècles, à mesure que les salariés des secteurs public et privé étaient remplacés par des cohortes de commerçants, petits et grands, le processus migratoire semble néanmoins perpétuer d’anciennes asymétries géopolitiques construites à l’époque coloniale. Si les mobilités contemporaines traduisent une plus grande liberté individuelle, elles ne sont pas pour autant exemptes de contraintes ; elles se déploient dans un contexte économique et politique troublé où les accords africains de libre circulation s’avèrent inopérants et la préférence nationale mise en exergue.

Pour faire face à une insécurité croissante au Gabon et envisager un avenir moins incertain, les Sénégalais tablent sur leurs ressources personnelles et familiales, plutôt que sur la coopération interétatique, restée balbutiante. Par des stratégies discrètes, ils réinvestissent au Sénégal, dans la pierre, pour les plus modestes, dans la politique, pour les mieux établis.

Si la reprise du dialogue au sein de la commission mixte Gabon-Sénégal peut conduire à améliorer la situation des retraités sénégalais ayant fait une longue carrière au Gabon, il n’est pas sûr qu’elle aboutisse à calmer les passions politiques fragilisant l’unité nationale au Gabon.

2 000 sur 15 000 Sénégalais sans papiers rapatriés en 1995

Pour enrayer l’immigration irrégulière et mieux contrôler les travailleurs étrangers, les autorités gabonaises adoptent, par la suite, une solution plus radicale : l’expulsion. Une mesure qu’elles justifient par la supposée ‘’invasion démographique’’ d’origine étrangère subie par le pays et la ‘’spoliation économique’’ à laquelle se sont livrés les étrangers ayant été accueillis pour mettre en valeur les ressources gabonaises (Loungou, 2010).

En 1995, selon le rapport, l’opération baptisée ‘’Tonnerre’’ débouche sur l’expulsion de 65 000 ressortissants étrangers. Sur les 15 000 Sénégalais alors installés au Gabon, dont 12 000 détenteurs de cartes de séjour, plus de 2 000 sont ‘’rapatriés’’ (à leurs frais), alors qu’une minorité parvient à régulariser sa situation. C’est ainsi l’occasion pour les autorités gabonaises de consolider leur ‘’rente migratoire’’.

Il faut rappeler que la carte de séjour s’élève à 700 000 F CFA pour un ressortissant sénégalais, son renouvellement à 50 000 F, le visa à 35 000F et la caution légale de rapatriement à 396 240 F CFA. Quelques employeurs s’engagent néanmoins à régulariser la situation de leurs employés étrangers.

Les dernières générations arrivées illégalement se retrouvent vite piégées sur le territoire gabonais. Elles n’ont pas les moyens de payer un visa de retour et sont de moins en moins capables de faire face à ‘’l’insécurité existentielle’’, provoquée par l’hostilité générale des populations gabonaises et des marques réitérées de discrimination et de détention arbitraire.

En 2005, l’ambassadeur du Sénégal au Gabon organise le rapatriement volontaire ‘’d’indigents’’ sénégalais. Au fil des années, la proportion des Sénégalais en situation irrégulière et précarisée dans l’ensemble des ressortissants installés au Gabon tend à augmenter. En 2015, la Direction générale gabonaise de la Documentation et de l’Immigration (DGDI) procède à de nouvelles opérations d’expulsion des étrangers ’’sans papiers’’, invoquant cette fois-ci la menace terroriste de Boko Haram.

La situation s’envenime après le décès, dans des circonstances non élucidées, d’un chauffeur de taxi sénégalais mis en garde à vue, puis l’incarcération prolongée de soixante-dix ressortissants sénégalais, interpellés sur leur lieu de travail, pour défaut de titre de séjour.
Ainsi, les Sénégalais restent dans une situation précaire au Gabon.
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