Vent glacial entre le Maroc et la France

Pour l’écrivain Tahar Ben Jelloun, la France a commis une grave erreur en réduisant la délivrance des visas pour entrer sur son territoire.
Apparemment, ni le président Emmanuel Macron ni son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’ont conscience de la détérioration des relations entre la France et le Maroc.

En punissant les trois pays du Maghreb en divisant par deux la délivrance des visas pour entrer en France, ils ont provoqué au sein de la population un tollé allant jusqu’à une violence inouïe dans les commentaires relayés par la presse marocaine.

La France a réagi au fait que les services consulaires de ces pays refusent de reprendre leurs ressortissants en situation illégale. D’après ce que m’a affirmé M. Chakib Benmoussa, alors ambassadeur du Maroc en France, « le Maroc n’a jamais refusé de rapatrier ses clandestins, mais la police française lui envoie souvent des personnes algériennes ou tunisiennes dont il ne peut pas s’occuper ». M. Benmoussa est un homme de parole. Il ne dit pas n’importe quoi. Le malentendu est là. Peut-être que les autorités de Rabat auraient dû s’expliquer officiellement sur cette question.

Le courant ne passe pas
Mais au-delà de ces tracasseries administratives, on peut dire que le courant ne passe pas entre les deux chefs d’État. Le Maroc a été habitué à des relations privilégiées. Macron n’a pas de sensibilité maghrébine. Il est cependant obsédé par l’Algérie et pense qu’il parviendra à assainir les relations franco-algériennes. Nous lui souhaitons bonne chance.
Ainsi, il s’apprêterait à faire une visite à Alger très prochainement. Il est en train de sacrifier la bonne entente avec le Maroc dans l’espoir d’obtenir des militaires algériens de meilleures dispositions à l’égard de son pays. M. Macron se trompe. L’Algérie des militaires, qui tient à ce qu’il a lui-même appelé « la rente mémorielle », ne lui donnera rien. Elle maintiendra le système de la culpabilisation jusqu’au bout. S’il fait ce voyage, c’est qu’il n’a pas compris le mécanisme d’un système qui ne fait aucune concession.

Le Maroc souhaite que ses relations avec l’Algérie s’apaisent. Le roi Mohammed VI l’a encore rappelé dans son discours du trône, le 30 juillet dernier. Cela ne le dérange nullement si Macron se rend en Algérie. Mais cela ne devrait pas entrer dans un calcul mesquin.
Le Maroc n’est plus focalisé sur la France. C’est un fait constaté dans plusieurs domaines. Il a commencé à diversifier ses amitiés et ses relations politiques et stratégiques. En signant les accords d’Abraham, en réussissant à faire changer de position à l’égard du Sahara le voisin espagnol, il s’éloigne de la France dont le soutien reste très mesuré, de peur de fâcher l’Algérie qui maintient un conflit artificiel armé au Sahara.

Empêcher des médecins, des hommes d’affaires, des musiciens, des personnalités politiques de se rendre en France, en leur refusant un visa, a pour conséquence une mauvaise humeur, une contrariété vite transformée en rejet de la France. Refuser le visa à des parents dont le fils (mineur) doit se rendre à Paris pour entamer des études dans une grande école est ridicule. Le père occupe un poste important dans une grande banque, la mère est médecin, chef de service dans un hôpital. Ces deux personnes ne viennent pas en France pour travailler ou pour devenir des clandestins. Ils souhaitaient juste aider leur fils qui n’a que dix-sept ans à s’installer à Paris.

Contre la loi du Talion
Des exemples de ce type abondent. Des Marocains demandent au Maroc d’appliquer la réciproque aux voyageurs français, de répondre à la punition par une autre décision aussi injuste. J’espère qu’il n’en fera rien, pas seulement à cause du tourisme, mais aussi par tradition d’ouverture et d’hospitalité instaurée avec la France depuis toujours. Le Maroc n’a pas de « rente mémorielle » avec la France. Il a été un protectorat et la lutte pour l’indépendance n’a pas été une tragédie, comme ce fut le cas pour le peuple algérien.
Il n’y a pas de raison pour que les relations actuelles, de bras de fer, se transforment en coopération traditionnelle sans punition ni rappel à l’ordre. La France reconnaît l’aide que lui apportent les services marocains dans la lutte contre le terrorisme. Il n’est pas question de cesser cette collaboration importante à cause de quelques visas refusés à des Marocains qui ont besoin de se rendre en France.

lepoint.fr

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