Coronavirus et stigmatisation : L’émouvant récit d’un enseignant mis en quarantaine.

Le convoyage des enseignants pour les besoins de la reprise des cours finalement annulée, s’est révélé un vrai fiasco. Cette manœuvre qui a été un pourvoyeur du virus, a non seulement été un frein pour le redémarrage des cours pour les classes d’examen, mais a en plus jeté le discrédit sur des milliers d’enseignants, dont le tort a été de vouloir respecter le contrat qui les lie à la nation. Appelés « monsieur corona », ils ne peuvent plus se dévêtir de cet habit qu’ils se sont vus enfiler malgré eux. Qui mieux qu’un enseignant pour raconter cette expérience? Ibrahima Diouf est professeur de français au lycée Blaise Sène de Loul Sessène, dans la commune d’arrondissement de Fimela, département de Fatick. Contact d’un collègue testé positif, il a été placé en quarantaine conformément aux mesures sanitaires. Il partage avec dakaractu son expérience. Nous vous la livrons avec quelques modifications pour une lecture fine.

« J’écris ce récit en tant que témoin oculaire des faits. A mon retour à Loul, le lundi 01 juin 2020, j’avais hâte de retrouver mes chers collègues après de longues vacances ennuyantes. Les débats, les blagues et autres discussions entre Diolas et Sérères sous le manguier de la maison me manquaient énormément.

Le mercredi 03 juin vers 10h, je viens juste de prendre un bain après un bon réveil matinal. Et c’était la première fois qu’un Diola ait fait peur à un Sérère.

Hé bonjour M. Coly ! ai-je dit à mon collègue debout devant la porte de l’autre appartement. Tout à coup, M. Coly vient me souffler tout bas : « Alors Diouf, préparons une éventuelle mise en quarantaine, car M. X a passé la moitié de la nuit au district sanitaire de Diofior. Je crains qu’il ait chopé le virus.»

Ainsi, au cours de notre conversation, une dame surgit et dit » Hé ne le dites pas deh, ça peut même ne pas être corona ! »

Cette journée fut longue et difficile pour nous tous et nous plongea ainsi dans les abysses du doute et de l’incertitude. Mais le pire pour moi c’est le sobriquet taquin que nos élèves fabriqueraient à notre endroit : keur corona, les Messieurs corona … »

Ce même jour, à 20h05 minutes juste après la prière de Timis, M. Sané vient nous confirmer que notre collègue est finalement testé positif : il a été contaminé sûrement au terminus Liberté 5 (Dakar) où les enseignants étaient entassés comme des sardines.

A 22h 39 minutes, mon téléphone sonne et je décroche. Mon interlocuteur est le médecin chef du district sanitaire de Diofior.

« Monsieur Ibrahima Diouf ? » me demande-t-elle.

“Oui”, ai-je répondu

Après les salamalecs, elle me dit calmement de rester à la maison et de respecter les mesures barrières car notre collègue avec qui nous partageons la popote est testé positif.

Une mise en quarantaine sonne mal dans mon for intérieur, mais j’étais obligé de tenir le bon bout car c’est une épreuve divine qu’il faut affronter.

Quelques heures après, aux environs de minuit, une équipe de désinfection des services d’hygiène débarque à la maison : nos chambres, nos toilettes, les coins et recoins de toute la maison sont désinfectés. Tout ce spectacle se déroule sous mes yeux comme une fiction. Dans la mêlée, au moment où la machine ronronnait dans notre appartement, je me suis retiré de la foule pour naviguer dans la conscience du collègue infecté. Je me disais, sûrement, son âme pleurera sans larmes, car étant victime d’un sacrifice sur l’autel d’une incompétence et d’un tâtonnement étatique. Dans la même minute, j’entends une maman d’à côté dire bilah…

Politique221

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