Disparition du chanteur congolais Nzongo Soul

Catapulté sous le feu des projecteurs grâce à un tube en duo avec Bernard Lavilliers peu de temps après son arrivée à Paris au milieu des années 80, le Congolais Nzongo Soul avait acquis auparavant auprès de ses compatriotes une notoriété mémorable grâce à sa musique baptisée “walla”, en rupture avec la toute puissante rumba locale. Auteur d’une dizaine d’albums et adepte de la “musicosophie”, le lauréat du prix Découvertes RFI 1984 est décédé en France le 10 janvier, à 62 ans.

En lingala, Nzongo Soul donne la réplique sur chaque refrain de Noir et blanc, comme pour mieux souligner les paroles de Bernard Lavillers : “De n’importe quel pays, de n’importe quelle couleur, la musique est un cri qui vient de l’intérieur”. Le succès que remporte la chanson en France au début de l’année 1987 reflète la sensibilisation croissante de la société aux causes du continent africain défendues par les artistes occidentaux, qu’il s’agisse de l’apartheid et de Nelson Mandela en Afrique du Sud, ou de la famine en Éthiopie. Difficile d’imaginer meilleur tremplin pour le chanteur congolais, guère enclin à accepter le rôle de prétexte exotique mais sachant aussi s’adapter. La suite de l’histoire ne s’est pourtant pas passée comme prévu.

Une vie “de fait d’armes et d’humiliations” : ainsi Nzongo Soul évoquait-il son parcours, lors de la sortie de son album Musicosophie en 2009. Sans complaisance avec lui-même, éclairé par cet esprit agile qui sculptait les phrases comme les concepts, il transcendait chaque conversation pour en faire un objet philosophico-poétique. En évitant avec prudence le piège de la logorrhée, mais toujours avec cette envie de susciter une forme d’admiration chez son auditoire.

C’est d’ailleurs pour cette raison, admettait-il, que le jeune garçon timide qu’il était a d’abord voulu faire de la musique à Brazzaville, à la fin des années 60, alors qu’il allait sur ses quinze ans : “Dès que j’ai commencé à chanter en tant que choriste, j’ai eu l’impression que même physiquement je m’étais amélioré parce qu’enfin les filles me donnaient des sourires !”

Les influences de Ray Charles et de James Brown

La découverte de Ray Charles agit comme un déclic : “ça n’avait rien à voir avec la rumba, mais je le revendiquais comme quelque chose de proche. Je cherchais une filiation entre What’d I Say et le folklore”. Ce qu’il appelle walla – la purification – puise dans les traditions ancestrales, pour en faire remonter des rythmes et tout ce à quoi ils sont liés. “L’art est cultuel avant d’être culturel”, assurait-il. Avec Les Intimes puis l’orchestre Djilamuey et enfin les Walla Players, le brillant élève affine son style, tout en prêtant une oreille attentive au Nigérian Fela, au groupe ivoiro-burkinabè Bozambo.

Sur la pochette de son premier 33 tours produit en 1980 par l’Antillais Eddy Gustave, l’influence de James Brown se devine sans peine. Avec cet album et les deux suivants, l’artiste séduit la jeunesse de son pays et accède à une notoriété inédite. “C’était la première fois que je voyais un tel phénomène : une mégastar. Il ne pouvait pas sortir tranquillement dans la rue, aller au marché. Les gens le suivaient, chantaient ses chansons. Il portait souvent une salopette rouge, avec un sifflet autour du cou, et il avait une coupe de cheveux comme les Jackson Five”, se rappelle Émile Biayenda, fondateur et leader des Tambours de Brazza, qui ne cache pas sa “grande fierté” d’avoir rejoint les Walla players à 14 ans (et qui a fait partie jusqu’au bout de la garde rapprochée de Nzongo Soul, avec notamment le bassiste Francky Moulet).

Étudiant en fac d’anglais, le chanteur fait partie des lauréats du prix Découvertes RFI en 1984 et reçoit son prix à Bamako, au Mali. “J’avais partagé cette scène-là qui était faite en mon honneur avec Salif Keita, Amadou et Mariam. Il y avait aussi Manu Dibango”, se souvenait-il avec un plaisir perceptible, 25 ans plus tard. “C’est avec ces lumières du passé, quand on est au fond, qu’on avance vers l’obscurité de l’avenir”, poursuivait-il comme pour appuyer les contrastes.

Lorsque l’édition suivante des Découvertes RFI est organisée chez lui, à Brazzaville, alors qu’il se prépare à s’inscrire à la Sorbonne à Paris, il rencontre le chanteur français Bernard Lavilliers. “Il n’y aurait pas eu RFI, je n’aurais pas découvert Bernard. En venant en France, je devais tout juste être un étudiant anonyme et il m’a amené à perpétuer mon métier.”

Sur les bancs de la prestigieuse université, en effet, on le voit peu. Et pour cause : il est en tournée, happé par le tourbillon engendré par Noir et blanc“Parti de la tradition musicale walla, préservant aussi sa véritable base rythmique, sa philosophie, Nzongo Soul a rapproché le son des percussions de celui du clavier, de la basse et des batteries”, écrivait à son sujet le magazine Jeune Afrique en 1987, peu de temps après son premier concert en France – accompagné à la guitare par un certain Lokua Kanza encore dans l’ombre !

Durant quelques années, les projets s’enchainent et continuent de lui assurer une certaine visibilité.

Cela lui donne l’occasion de coanimer en 1991 ce qui fut la première grande émission de télévision consacrée à la musique africaine durant plus d’une heure trente, sur une chaine publique française, entouré d’artistes comme les Touré Kunda, Mory Kanté, Aicha Koné, Ismaël Lo, Zao, Cheick Tidiane Seck…

Une terre natale en bandoulière

Au fil du temps, ses partenaires des maisons de disques s’éloignent. Nzongo comprend trop tard qu’il ne pèse plus grand-chose à leurs yeux, et que la situation n’est pas nouvelle. “J’ai dû certainement transgresser plein de règles à mon insu”, imaginait-il aussi, sans pour autant chercher à s’exonérer de ses responsabilités.

Les difficultés qu’ils traversent lui font entrevoir la possibilité de revenir sur sa terre natale, qu’il a “toujours en bandoulière”. Mais la guerre civile vient d’éclater dans son pays à la fin des années 90. “Avec le peu de légitimité qu’il me reste, je rassemble à Paris tous les Congolais (Balou Canta, Pépé Kallé, loko Massengo…, NDR) pour faire une action caritative : un disque qui s’appelle Tribalité Créatrice, avec Pharmaciens sans frontières. Mais là aussi on s’est planté. Le pire, c’est que je me suis retrouvé ruiné parce que j’avais tout financé”, rapportait-il.

Sévère avec lui-même, parlant du “syndrome du chanteur déchu”, de “la ruine” qu’il était devenu, des multiples remises en question par lesquelles il était passé, Nzongo Soul s’est accroché.

“La lumière de la musique ne s’est jamais éteinte”, insistait-il. Même s’il l’explorait autrement, à travers ce concept de musicosophie. Une quête. “La réalité ultime de ceux qui cherchent ‘sophia’, la sagesse, c’est quand même le vrai, le juste, le beau. Ça apaise, surtout quand dans le ventre, c’est creux.” Avec l’album Musicosophie, il avait rompu son vœu de ne plus enregistrer et retrouvé par la même occasion “l’impression de revivre une nouvelle adolescence”. Ces derniers temps, il peaufinait ses nouvelles chansons, pour parachever sa mission : mettre en valeur beauté et la puissance cachée de la langue kongo.

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