En Tunisie, les manifestations contre la hausse des prix et l’austérité ne faiblissent pas. Ces protestations ont lieu dans tout le pays. Elles visent en particulier la nouvelle loi de finances, qui vient s’ajouter à une inflation de plus de 6% en 2017 et à un taux de chômage qui dépasse les 15%. Et cette nuit, pour la troisième nuit consécutive, les manifestations ont dégénéré en affrontements.
Jets de pierre et cocktails Molotov côté manifestants, gaz lacrymogènes côté forces de l’ordre. Plusieurs manifestations, qui avaient débuté pacifiquement dans l’après-midi ont tourné aux affrontements violents pendant la nuit, notamment à Tebourba, à une trentaine de kilomètres de Tunis. C’est dans cette ville qu’un homme de 43 ans a trouvé la mort lundi lors des manifestations.
Dans la cité Ibn Khaldoun, un quartier de Tunis, des affrontements ont duré une partie de la nuit. Youssef habite près du centre commercial que des jeunes avaient pris pour cible, avant d’être repoussés par la police : « Hier quand je suis rentré chez moi le soir, j’ai commencé à pleurer à cause des gaz lacrymogènes ». Fatma, elle, ne cache pas ses craintes face à ces regains de violence : « La situation actuelle de notre pays ne supporte pas une deuxième révolution. Cela fait peur. Il y a des risques, car la sécurité est en péril dans notre pays ». Ahmed est resté tard dans la rue pour dire sa colère de voir son niveau de vie fondre d’année en année : « Le niveau de vie en Tunisie, c’est trop cher. C’est une catastrophe. Il y a deux niveaux, les riches et les pauvres. Il n’y a pas de moyenne classe ».
Le ministère de l’Intérieur a annoncé que 70 policiers avaient blessés lors des heurts. Des pillages de supermarchés ont été signalés, ainsi que l’attaque d’un poste de police à Thala dans le centre du pays. Et, face à cette situation les autorités réagissent très fermement. 565 personnes ont déjà été arrêtées. L’armée a été déployée autour de bâtiments gouvernementaux sensibles dans les grandes villes du pays.
Les protestations ne devraient pas faiblir
Le Premier ministre, Youssef Chahed, a déclaré que la loi serait appliquée fermement contre les casseurs. Les bâtiments publics, les magasins généraux, postes de police sont clairement des cibles de ces manifestants casseurs nocturnes. Il a également accusé des partis de gauche et des réseaux mafieux d’être derrière les violences. Le mouvement Fech Nestannew (Qu’est-ce qu’on attend), un réseau de jeunes activistes à l’origine des manifestations, a pourtant appelé à manifester pacifiquement.
Par ailleurs plusieurs militants ont fait remarquer que les déclarations du gouvernement étaient très semblables aux arguments utilisés à l’époque de la révolution par le régime de Ben Ali pour discréditer les protestataires. Alors, y aura-t-il une nouvelle révolution ? Certains observateurs s’interrogent. La situation économique et sociale, qui était au coeur des revendications en 2011, ne s’est pas améliorée, bien au contraire. Le taux de chômage est aujourd’hui de plus de 15% en Tunisie. L’inflation a atteint 6,4% l’an dernier et la nouvelle loi de Finances est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Pourtant Amin, comme nombre d’habitants, est persuadé que les rassemblements violents sont attisés par des responsables politiques ou économiques : « Il y a des gens qui aimeraient voir un petit peu un petit chaos dans ce pays franchement. Je vous donne juste pour la petite remarque, on a quand même la loi de finances qui est tombée le 30, et le 31 au soir, ça a commencé. Donc cela ne peut pas être aussi spontané que ça, honnêtement ».
Difficile de prédire l’avenir
Mais il est difficile de prédire l’avenir : ce n’est pas la première fois qu’on assiste à de telles flambées de colère. Traditionnellement, le mois de janvier est celui des mouvements sociaux en Tunisie. Et les protestations ne devraient pas faiblir dans les prochains jours : une importante manifestation est prévue vendredi 12 janvier à Tunis. Une autre doit avoir lieu dimanche, le 14 janvier, jour du septième anniversaire de la révolution, à l’appel notamment de l’UGTT, la principale centrale syndicale du pays. Chaque année aussi, depuis quatre ans maintenant, la grogne s’amplifie à l’approche de l’anniversaire de la révolution du Jasmin dont nous fêterons la septième édition dimanche prochain.
■ La Tunisie cherche toujours à redynamiser son économie depuis la fin de la révolution de 2011
Après voir ralentit pendant trois ans, l’inflation en Tunisie est repartie à la hausse depuis la fin de l’année 2016. Elle a dépassé les 6% à la fin de l’année dernière contre 5,7% en août. Malgré le marasme économique de ces dernières années, il y a eu des embauches massives dans la fonction publique, sans pour autant régler le problème du chômage, surtout des jeunes, qui a même augmenté.
Les statistiques officielles mettent en évidence « l’approfondissement des inégalités sociales » et la hausse du taux de pauvreté. Confronté à d’importantes difficultés financières, le gouvernement tunisien a dû faire appel au Fonds monétaire international, qui a débloqué 2,4 milliards d’euros sur quatre ans, en échange d’un programme visant à réduire les déficits. La loi des finances 2018, dont les manifestants réclament la révision, a d’ailleurs été conçue dans cet esprit.
Pour financer une partie des dépenses de fonctionnement, le gouvernement tunisien a recours à la dette publique, qui frôle maintenant 70% du PIB contre 40% en 2010. L’économie du pays est aujourd’hui tirée par le secteur des services. La production industrielle s’est contractée de 6,6% et les industries extractives affichent une croissance inférieure aux niveaux historiques, en raison des mouvements sociaux dans les régions minières.