Voyage au coeur de l’horreur dans la foret des Bayottes et ses 13 morts
Vingt-quatre heures après les assassinats perpétrés, hier, à l’encontre de 13 personnes dans la forêt des Baïllotes, en Casamance, l’enquête judiciaire ouverte par la gendarmerie nationale est encore balbutiante. A Ziguinchor, c’est l’identification des corps, en vue d’une probable autopsie, qui occupe les esprits. C’est après les enterrements que les auditions vont commencer. En attendant, Kewoulo.info délivre les premiers résultats de son enquête. Récit d’une découverte macabre avec laquelle les Casamançais ont, depuis lors, appris à vivre.
Samedi 6 janvier 2017. Nous sommes à Bourofaye Baïnounck, à 7 km de Ziguinchor, juste après le village de Petikan, en passant par la route nationale N4, celle qui passe de la gare routière de Ziguinchor, traverse les quartiers de Tilène, Kantène et Kandialang et que les Casamançais appellent communément la Route 54. Elle relie le Sénégal à la Guinée Bissau. Une fois à Bourofaye, il faut quitter le bitume, prendre la droite pour s’engager sur une piste sablonneuse, par endroit, pour rejoindre le village de Badème Diola, le pays des Bayottes, une sous ethnie des Diola. Nous sommes sur la piste des fraudeurs et des trafiquants en tout genre. C’est ici, à 11 kilomètre de la route nationale N4, que se trouve la forêt des Bayottes, l’une des forêts « classées » de la Casamance.
Dans cette forêt «protégée» trônent de majestueux arbres prisés, des bois rares pour la menuiserie. Pour pouvoir les exploiter, il faut un permis de couper qui n’est délivré que par la direction des Eaux et Forets, une structure de l’administration sénégalaise. A défaut de l’avoir, les coupeurs de bois qui tombent sur une patrouille de l’armée sont arrêtés et remis à la gendarmerie. Ils sont traduits en justice et condamnés à des peines de prison fermes.
Et lorsque le coupeur, qui dispose d’un permis d’exploiter le bois, tombe sur des rebelles, il est aussitôt arrêté et accusé de « connivence avec l’ennemi. » La sentence est souvent la mort. Alors, pour être en règle dans cette forêt des Bayottes, il faut négocier avec les deux camps : avoir un permis de coupe et être prêt à soudoyer les rebelles, en leu ramenant tout ce dont ils auront besoin de la ville, des produits comme des informations sur les faits et gestes de l’ennemis ; puisque la zone est entièrement sous contrôle des hommes de César Atoute Badiane, l’un des plus redoutables chefs de guerre de la Casamance.
Si Kewoulo ne peut, pour le moment, pas dire quel est le chef de guerre qui est à l’origine de cette tuerie du samedi, il ressort de nos investigations que « c’est un guet-apens qui a été tendu« , ce samedi, aux exploitants de la forêt. Des premiers témoignages obtenus sur place, c’est vers 7 heures du matin, que tout a commencé. «Les rebelles s’étaient dispersés, en petits groupes cachés dans les bois. Ils ont commencé à arrêter tous ceux qui rentraient dans la forêt. Et, ils nous ont rassemblés dans un endroit, sous la menace de leurs armes. De 7 heures, nous sommes restés jusqu’à midi, ignorant ce qui allait se passer. Et, soudain, ils se sont rassemblés et ont commencé à nous tirer dessus», a raconté un rescapé à Kewoulo.
Contacté par nos soins, le chef d’un village de la zone a déclaré que «c’est aux alentours de 11 heures» qu’il a entendus les premiers coups de feu. « Mais, comme dans cette zone on est habitué à ce genre d’ambiance, personne n’y a prêté attention», a-t-il déclaré. Alors qu’ils se croyaient dans un huis clos, les hommes armés qui ont dépouillé leurs otages, les ont rassemblés et ont ouvert le feu sur eux. 22 personnes ont été passés à l’arme.
Témoins de la tuerie, trois exploitants de bois -qui ont eu plus de chance que les autres- ont assisté à la scène. Ce sont gens-là qui, après le départ des derniers rebelles, ont quitté leur cachette pour donner l’alerte au premier gendarme en faction sur la route. Il est 15 heures quand la gendarmerie a été alertée. Aussitôt, les sapeurs pompiers sont réquisitionnés. Mais, la forêt des Bayottes étant en zone de non droit, il n’arriverait à aucun commandant des Sapeurs pompiers l’idée saugrenue d’y engager ses hommes. Ce sont, donc, les rescapés qui vont prendre ce risque. Ils ont appelé parents et proches et, ensemble, ils ont décidé de retourner sur les lieux du drame, sauver ceux qui peuvent encore l’être.
Munis que de leur courage et de charrettes, ce sont ces civils non armés qui sont repartis en «profondeur» chercher les blessés d’abord, ensuite les morts. Et les ont porté sur 11 kilomètres, avant de les remettre aux Sapeurs-Pompiers. «On a découvert les corps sous un tas de bicyclettes. Après les avoir tués, ils les ont rassemblés comme du bois mort et ont posé les vélos -qu’ils ne voulaient pas prendre- sur les corps. Ils ont aussi abattu de nombreux ânes qui étaient reliés aux charrettes», a témoigné un rescapé à Kewoulo.
Ce témoin, qui a préféré rester anonyme, fait partie de ceux qui ont décidé d’aller porter secours aux blessés, donner à boire aux agonisants et leur réciter le coran. « Il n’y avait pas que des jeunes, le plus vieux devait avoir 60 ans voire plus. Et les plus jeunes ont largement dépassé la trentaine. La plupart des victime n’était pas venu couper du bois pour le vendre. Mais, ils éteint venus chercher du bois mort, pour faire la cuisine. » A tenu à préciser ce témoin outré par ce qui se raconte dans la presse.
Du côté de la gendarmerie, même si on confirme les informations de Kewoulo, on préfère parler d’enquête en cours qui ne permette pas, à l’étape actuelle, de savoir ce qui s’est réellement passé. «Il faut savoir que c’est dans une zone non accessible. On est presque à la frontière avec la Guinée Bissau. Si les Sapeurs-pompiers n’ont pas pu accéder à la zone, c’est qu’ils attendaient l’arrivée de l’escorte de l’armée. Mais, entre temps, les populations ont été plus rapides en allant elles-mêmes chercher les corps des profondeurs.» A déclaré le porte parole de la gendarmerie.
Babacar Touré
Kewoulo.info