
Depuis ce match maudit, Aliou Cissé s’est promis de prendre sa revanche et de soulever le trophée avec les Lions de la Teranga. Son coéquipier de l’époque, Salif Diao, l’a raconté au journal L’Équipe : “Le jour de la finale perdue, je suis allé le voir pour lui dire que ça irait. Il m’a répondu : ‘Je la tenais d’une main cette Coupe.’ Et il a ajouté : ‘Elle m’a échappé mais je te jure, je la gagnerai pour mon peuple, j’en fais une histoire personnelle que ce soit comme joueur ou comme coach.’”
« Je cours après cette CAN depuis 1999 »
Aliou Cissé, sélectionneur du Sénégal
À 45 ans, l’heure est-elle enfin venue pour Aliou Cissé de soulever le trophée tant convoité ? Nommé entraîneur de la sélection sénégalaise en 2015, le natif de la région rebelle de Casamance va disputer au Cameroun sa troisième CAN en tant que sélectionneur.
Comme beaucoup de joueurs sénégalais, c’est en France qu’Aliou Cissé fait ses débuts professionnels. Il dispute sa première rencontre avec le Losc en 1994. Après un passage par Sedan, le Sénégalais rejoint le PSG où il joue défenseur ou milieu défensif entre 1998 et 2001.
“C’est quelqu’un qui avait du caractère, de la personnalité. Il était apprécié et aimé. J’avais un bon feeling avec lui. Il était toujours gai et joyeux”, se souvient Luis Fernandez, l’entraîneur du PSG lors de la saison 2000-2001. “Il rentrait de sélection toujours un peu plus tard que les autres. Je l’acceptais. Quand vous avez quitté vos racines et votre famille, c’est important.”
Mais c’est surtout avec les Lions de la Teranga qu’Aliou Cissé a marqué les esprits. Point d’orgue de sa vie sportive : 2002. Capitaine de la sélection, Aliou Cissé emmène cette année-là ses coéquipiers en finale de la CAN et en quarts de finale de la Coupe du monde après avoir battu l’équipe de France lors des phases de poule. Tout un symbole pour l’ex-colonie française.
“C’était magnifique pour le Sénégal. Nous étions champions du monde quatre ans plus tôt. Le Sénégal avait su élever son niveau. C’était une belle génération”, salue Luis Fernandez.
« Aliou parlait peu, du moins en dehors du terrain. Car quand il était sur la pelouse, on l’entendait. C’était un aboyeur, un leader »
Alassane Ndour, ancien coéquipier d’Aliou Cissé
Cette épopée est restée gravée dans la mémoire des supporters sénégalais. “Ce qu’il a fait en 2002, c’était un exploit”, se souvient Elhadji Toure, rédacteur en chef du site sénégalais d’actualités footballistiques Galsenfoot. “Il est perçu comme une légende vivante du football sénégalais.” Le tir au but raté ? “Ce sont des choses qui arrivent. Personne ne lui en voulait”, explique ce fin connaisseur du foot africain.
Pendant longtemps, la grande majorité des équipes nationales africaines étaient entraînées par des européens. Mais depuis plusieurs années, la tendance s’inverse. Sur les 24 équipes qualifiées pour les phases finales de la CAN, 16 sont encadrées par des Africains.
Avec Djamel Belmadi, l’entraîneur de l’Algérie, Aliou Cissé fait partie de cette nouvelle génération d’entraîneurs ambitieux issus du continent. Les deux hommes ont même été sélectionnés en 2021 parmi les 25 meilleurs entraîneurs du monde par l’International Federation of Football History & Statistics (IFFHS).
“Je prends du plaisir à les voir évoluer aussi haut et s’imposer au poste d’entraîneur, qui n’est pas facile”, sourit Luis Fernandez, qui a aussi entraîné Belmadi au milieu des années 1990 au PSG.
Cissé et Belamdi sont nés tous les deux en 1976. Mais la comparaison ne s’arrête pas là. Les deux hommes ont passé une partie de leur enfance à Champigny-sur-Marne. Belmadi y est né et Aliou Cissé est arrivé dans cette morne ville de la banlieue parisienne à l’âge de neuf ans. “Nous sommes des enfants du 9-4 [le Val-de-Marne, NDLR]”, avait un jour confié Aliou Cissé. S’ils ne se sont jamais croisés à Champigny, Cissé et Belmadi finissent par se rencontrer au centre de formation du PSG, en 1992.
Les deux sélectionneurs se sont affrontés à deux reprises avec leurs sélections respectives. La première passe d’armes a lieu lors des phases de groupe de la CAN en 2019 en Égypte. Un duel remporté par les troupes de Belmadi sur un score de 1 à 0. Les deux équipes se retrouvent ensuite en finale du tournoi, le 19 juillet. “Jouer cette finale contre mon ami Cissé, c’est extraordinaire”, s’était réjouit Djamel Belmadi en amont de la rencontre.
L’ami de longue date de Cissé s’est transformé en bourreau puisque les Fennecs se sont imposés 1 à 0 dans une finale électrique. Coup dur pour Cissé : il échoue une nouvelle fois à soulever la CAN et c’est son ami d’enfance qui le prive d’un premier sacre.
Depuis cette défaite, Aliou Cissé doit encaisser les critiques de ses ex-coéquipiers. Il en va ainsi de Henri Camara, titulaire du record de buts marqués avec la sélection. “Il cumule les erreurs. Il y a quatre mois, il avait essayé une tactique. C’était mal fait. Je me demande s’il écoute les gens. Est-ce que ça vaut la peine même de lui parler ? En tant qu’anciens joueurs, il doit tous nous écouter. Parce qu’on a notre mot à dire”, a-t-il récemment laché à la télévision sénégalaise.
L’entraîneur aux tresses a également dû affronter l’ire des Sénégalais qui étaient opposés à l’intégration de Bouna Sarr. Franco-sénégalais, le joueur du Bayern Munich avait refusé de jouer la Coupe du monde 2018 pour le Sénégal. L’ex-Marseillais a finalement intégré le groupe en septembre 2021.
« Au Sénégal, on ne lui fait pas de cadeaux. Il est toujours critiqué pour ses choix »
Laure-Lise Etia, spécialiste football à TV5MONDE
“Au Sénégal, on ne lui fait pas de cadeaux. Il est toujours critiqué pour ses choix”, commente Lise-Laure Etia, journaliste à TV5MONDE et spécialiste du football africain. “Personne ne croyait en lui. Aujourd’hui, on le critique, mais on le respecte. Entraîner l’équipe sénégalaise, c’est une performance incroyable.”
Pour la CAN 2022, Aliou Cissé dispose d’une génération de footballeurs très talentueux, à l’image de Sadio Mané, attaquant star à Liverpool, club avec lequel il a remporté la Ligue des champions en 2019. Edouard Mendy, vainqueur de la Ligue des champions avec Chelsea en 2021 figure également sur la liste. Il a également été élu meilleur gardien de la saison 2020-2021 par l’UEFA.
Fidèle à son rôle de grand frère, Cissé a également fait confiance aux jeunes comme Bamba Dieng (OM), Abdou Diallo (PSG) et Idrissa Gana Gueye (PSG). Rendez-vous à partir du 9 janvier pour voir si le sort sera enfin favorable envers cet enfant du pays qui n’a jamais abandonné l’idée d’offrir à sa patrie un premier titre continental.