Côte d’Ivoire : une vidéo détournée provoque une flambée de violences intercommunautaires à Abidjan (photos)

Le 19 mai, des bandes de jeunes s’en sont violemment pris à des personnes et des commerces d’Abidjan, visant particulièrement les personnes originaires du Niger. Une éruption de violence causée par la diffusion d’une vidéo montrant des hommes violemment frappés au bord d’une route, qu’une rumeur a présentés comme des Ivoiriens habitant au Niger. Or, cette vidéo n’a rien à voir avec le Niger ou la Côte d’Ivoire.

« Partager s’il vous plaît, regarde ce qu’il se passe au Niger » (sic). C’est l’injonction inscrite en rouge sur la vidéo qui a largement circulé en Côte d’Ivoire, notamment sur WhatsApp. À l’image, on voit des hommes, ligotés et allongés en groupe sur le bord d’une route, frappés à coups de bâtons par un homme en uniforme. Selon nos Observateurs, la vidéo circule depuis la semaine du 10 mai 2021 avec l’affirmation que les victimes seraient des Ivoiriens au Niger.
Selon nos Observateurs mais aussi de nombreux internautes et médias ivoiriens, cette idée a engendré une vague de violences, agressions et pillages l’après-midi du 19 mai à l’encontre de Nigériens établis à Abidjan, membres de la communauté haoussa, une ethnie du sud du Niger et du nord du Nigeria.

Cette vidéo n’a pas pu être tournée au Niger
Or, un visionnage attentif de la vidéo permet de comprendre qu’elle n’a pas pu être tournée au Niger. Tout d’abord, on distingue un panneau sur lequel est écrit en anglais : « Slow down, checkpoint ahead, Operation Safe Haven », soit « Ralentissez, barrage routier, opération Havre de Paix ».

La présence de ce panneau indique que la vidéo a été filmée dans un pays anglophone, ce qui permet d’ores et déjà d’exclure le Niger, où le français est la langue officielle.

D’autres indices permettent d’en savoir plus : tout d’abord, le nom « Operation Safe Haven », qui correspond à un déploiement de l’armée du Nigeria dans l’État du Plateau (centre-est) pour enrayer la violence intercommunautaire depuis 2010. Ensuite, la langue entendue dans la vidéo : le haoussa, parlé notamment dans le nord du Nigeria, qui exclut donc les autres pays anglophones de la région.

Ces éléments indiquent que les images viennent très probablement du Nigeria. Les autorités ivoiriennes ont avancé qu’elles dataient d’il y a deux ans et qu’elles montreraient une opération visant Boko Haram au Nigeria. Notre rédaction n’a pas pu vérifier de façon indépendante où, quand et dans quel contexte elles ont été filmées.

Les Nigériens d’Abidjan visés par les violences
La diffusion de cette vidéo sortie de son contexte, assortie parfois à des appels directs à s’en prendre aux Nigériens d’Abidjan, a engendré des vagues d’agressions visant cette communauté mercredi 19 mai.

Les forces de police ivoiriennes ont notamment pointé du doigt une cyberactiviste connue, surnommée « Succès », qui aurait mentionné ces images et « indexé la communauté nigérienne » le 19 mai dans une vidéo, depuis supprimée de sa page Facebook. Partagée plus de 8 000 fois, sa vidéo aurait été beaucoup commentée, avec des « messages xénophobes » et des « appels à s’attaquer à l’intégrité physique » des Nigériens de Côte d’Ivoire, selon la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité.

Cette organisation présente la vidéo comme l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et généré les violences et pillages des magasins dans le quartier d’Abobo. Elle a également annoncé que cette femme serait poursuivie en justice pour « incitation à la violence et au meurtre et diffusion de fausses informations ».

« Ces jeunes criaient qu’ils devaient venger leurs frères maltraités au Niger »
Une analyse partagée par l’Observateur Yaya Bamba, habitant du quartier.

« Mercredi quand j’étais dans la rue, j’ai pu voir ces bandes de jeunes faire face à la police, notamment près de la gare. Certains étaient très jeunes. Ils criaient qu’ils devaient venger leurs frères maltraités au Niger. Tout ça à cause de cette vidéo et de tous ceux qui l’ont reprise en disant qu’elle montrait des Ivoiriens maltraités sur leur route vers la Libye.

Je n’ai pas vu les violences directement car la situation était vraiment tendue et j’ai préféré ne pas prendre trop de risques en restant dehors. J’ai cependant pu voir des barricades que les Nigériens ont érigées pour essayer de se protéger.

Quand je suis ressorti jeudi, j’ai vu quelques magasins qui avaient été saccagés, notamment une quincaillerie d’un quartier voisin. Le calme était revenu dans la rue mais la plupart des magasins des Nigériens étaient fermés, par mesure de précaution.

Ces débordements viennent pour moi se nourrir de préjugés haineux que certaines personnes ont à l’encontre des Nigériens, qui sont perçus comme assez ingrats car soi-disant peu accueillants dans leur pays alors que bien accueillis en Côte d’Ivoire.

Mais au fond, je crois que cette histoire était juste un bon prétexte pour ces groupes de jeunes, une occasion de piller et d’agresser les gens dans la rue.

Heureusement, tout le monde n’est pas comme ça. J’ai ainsi vu pas mal de jeunes de mon quartier, ivoiriens, se joindre aux Nigériens pour tenir les barricades défensives. Car au fond, nous formons une communauté, nous sommes nés et avons grandi ensemble, ici. »

Selon un bilan officiel établi par le gouvernement ivoirien, les violences enregistrées à Abidjan ont fait dix blessés. Six véhicules ont par ailleurs été calcinés et une douzaine de magasins ont été pillés. Le ministre de l’Intérieur a précisé que douze personnes ont été interpellées dans le cadre de ces violences.

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